EDITORIAL - ENSEIGNONS, CONTRE VENTS ET MAREES Historiens & Géographes n°468 (Novembre 2024)

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Par Joëlle ALAZARD [1]

Ponctué par un grand nombre de rendez-vous scientifiques et pédagogiques, l’automne de l’APHG s’est révélé particulièrement riche. En marge de ces précieux moments d’échanges fructueux, la fin d’année aura également été marquée par un événement d’une portée considérable pour le monde enseignant : le procès intenté par la famille de Samuel Paty aux responsables de son assassinat. Période singulière pour les professeurs qui, dans un silence assourdissant de la part de la classe politique – et même de leurs propres autorités de tutelle – guettent avec appréhension le verdict de la cour. Une occasion aussi de s’interroger sur l’évolution d’un métier en crise, qui, au premier quart du XXIe siècle, peine toujours à recruter.

Un métier de plus en plus difficile

Enseigner n’est pas simplement une profession : c’est une vocation, un engagement profond, et parfois même un combat. C’est un choix qui nous anime et nous guide à travers les difficultés et les défis du quotidien, une mission où passion et exigence se mêlent pour façonner l’avenir. Mais cette vocation, aussi noble soit-elle, est souvent mise à rude épreuve, entre des conditions de travail altérées, un manque de reconnaissance, un alourdissement constant de nos missions.
Être professeur aujourd’hui, c’est exercer un métier en première ligne, dans un système éducatif en perpétuelle mutation, où la pression augmente et les exigences se multiplient alors que les moyens semblent, eux, se raréfier... et tandis que les inégalités, bien documentées par les statistiques, ne cessent quant à elles de se creuser. Dans cet environnement, il arrive parfois que nous nous sentions seuls, abandonnés. La surcharge de travail, des classes bondées, des réformes imposées sans concertation, des changements de programmes incessants : tout cela nourrit un sentiment de découragement. Et pourtant, dans les médias, ou plus récemment encore à travers les propos d’un ancien Président de la République condamné par la Justice, nous sommes régulièrement qualifiés de privilégiés, voire de paresseux.
En réalité, nous faisons face à une situation bien plus complexe : des horaires chargés, une pression constante pour répondre aux attentes de la société comme aux urgences de l’actualité, des élèves parfois en grande difficulté, ainsi que des conditions matérielles qui peuvent rendre l’école bien peu aimable aux yeux des élèves. Dans ce climat, il n’est pas rare de sentir nos voix étouffées, nos demandes de soutien et de reconnaissance ignorées, et notre travail de plus en plus mal compris. C’est dans ce contexte morose que l’APHG, toujours engagée à être plus présente et solidaire, en proposant des ressources et des moments de partage, a retrouvé des forces vives et des couleurs.

Pourquoi nous continuons à enseigner

Car malgré tout, nous restons là, à enseigner : transmettre des savoirs durables, des valeurs humaines, semer des graines de réflexion qui, avec le temps, porteront leurs fruits. Et ce, même si les moyens matériels et les soutiens institutionnels font parfois cruellement défaut. L’essence même de notre métier nous pousse à ne jamais renoncer, même lorsque l’institution nous laisse dans l’ombre. Parce que derrière nos associations et nos syndicats, nous sommes des milliers, engagés pour nos classes, pour nos élèves. Combien sommes-nous à repenser régulièrement à cette phrase de la philosophe Simone Weil, « L’enseignement est un acte de résistance, et toute résistance a son origine dans l’amour de l’enfant » ? C’est cette conviction qui nous tient toujours debout, notre foi en la jeunesse, en sa capacité à changer le monde, en son potentiel à dépasser les difficultés.
Certes, les défis sont immenses, mais face à chaque élève, nous gardons la conviction que ce que nous semons aujourd’hui pourra fleurir demain. Le rôle de l’enseignant ne se limite pas à transmettre des savoirs : il est un guide, un phare, qui aide chaque élève à se construire et à se projeter dans l’avenir, quels que soient les obstacles auxquels il fait face. Chaque jour, en entrant dans nos classes, nous savons que nous apportons bien plus que des connaissances : nous ouvrons aux élèves un horizon plus large, un avenir plus riche.
Être enseignant, c’est incarner l’idéal républicain, celui qui garantit à chaque enfant, quelles que soient son origine ou sa condition sociale, une chance égale d’accéder à la connaissance et à la culture, une chance de s’émanciper de ses origines sociales et économiques, une chance de se libérer de toutes les assignations identitaires. Dans un contexte où les inégalités se creusent et les fractures sociales se multiplient, notre rôle est plus essentiel que jamais. Et même si nous nous sentons souvent seuls, parfois incompris, nous savons que notre mission est cruciale. Nous demeurons les héritiers de Jules Ferry ou de Jean Zay pour lesquels l’enseignement constituait la base de tout progrès, la base de la liberté, la base de la civilisation. Animés par cette conviction, nous continuons à enseigner car nous savons que l’école est un lieu d’émancipation, la grande forge des citoyens de demain. C’est pourquoi, malgré la fatigue et les épreuves, nous ne renonçons pas.

Continuons à avancer ensemble

L’histoire-géographie doit être au cœur de notre projet éducatif, car nos disciplines façonnent notre compréhension du monde et notre place dans la société. Elles sont un bien précieux, qu’il nous faut préserver, transmettre, et nourrir avec rigueur, mais aussi avec enthousiasme. C’est l’objectif de tous les événements que nous mettons en place.
Aussi nous réjouissons-nous du vif succès qu’ont connus nos événements de l’automne : qu’il s’agisse de la grande journée d’étude sur le conflit israélo-palestinien organisée à Sciences-Po Lille le 28 septembre dernier (avec plus de 250 participants), des journées organisées à Thionville les 15 et 16 novembre sur « Armées et territoires » (merci à la régionale de Lorraine et à Tristan Lecoq qui a, pour l’Inspection générale, brillamment porté le projet) ou encore de la demi-journée d’étude organisée avec nos partenaires de Parlons démocratie à l’Assemblée nationale, le 7 décembre dernier, les salles étaient combles, l’atmosphère propice à la réflexion et aux échanges avec tous les spécialistes invités.
Gageons que les prochains rendez-vous, dans un contexte d’étiolement de la formation continue « restructurée », ne manqueront pas de séduire de nouveaux collègues : nous serons ravis de vous accueillir dans nos différents événements, qu’il s’agisse de notre journée d’étude sur « les enfants en guerre », organisée à la Contemporaine de Nanterre le 25 janvier prochain, de notre demi-journée sur les Lumières, en partenariat avec l’IHMC en Sorbonne le 8 février prochain, ou de la grande journée d’étude du 15 mars qui accompagnera, aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, l’exposition « Illustrer l’Histoire de France » à laquelle nous sommes associés.

En vous souhaitant à toutes et à tous de joyeuses fêtes de fin d’année et tous nos meilleurs vœux pour l’année 2025, sans oublier les collègues et élèves de Mayotte, tragiquement touchés par le cyclone Chido [2],

Associativement vôtre,

Joëlle Alazard

Paris, le 17 décembre 2024

Sommaire en ligne du n° 468 de la revue Historiens & Géographes

© La Rédaction d’Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 26 décembre 2024.

Notes

[1Présidente nationale de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie – APHG. Professeure d’histoire en khâgne au Lycée Louis-le-Grand (Paris).

[2L’APHG appelle, en ce moment terrible pour nos concitoyens, toutes celles et tous ceux qui le peuvent à faire preuve de solidarité et de générosité par un don aux organismes mobilisés (Fondation de France, Secours populaire, …).